jeudi 2 mai 2024

Espace Public : Mobilisations sociales

Cette semaine Espace Public vous emmène au cœur des mobilisations sociales à Lyon avec les Street Medics dans le black bloc de la manifestation du 28 mars, en prenant d’abord le temps de comprendre les arguments des opposants au projet de loi Darmanin sur l’immigration.

Première partie : La contestation du projet de loi Darmanin sur l’immigration
– Interview de Sylvie Tomic, adjointe au Maire de Lyon
– Interview de Hélène, volontaire du Réseau Education Sans Frontières (RESF)

Deuxième partie : Les street medic
– Interview de Maxime Garcia, président de l’association « Street Medic 69 »
– Reportage avec les Street medics dans la manifestation du 28 mars à Lyon

 

  1. Samedi 25 mars : manifestation contre le projet de loi Darmanin
    A la manifestation du samedi 25 mars contre le loi de loi Darmanin sur l’immigration. @TB

A Lyon, la manifestation du samedi 25 mars contre le projet de loi Darmanin sur l’immigration, bien que moins massive que les manifestations sur les retraites, a toutefois réuni de très nombreux participants à l’appel d’un collectif de plus de 150 associations, organisations, partis politiques ou syndicats, unis sous la bannière UCIJ (Uni.e.s contre l’immigration jetable). Ce projet de loi propose de durcir les mesures concernant l’immigration tout en ouvrant de nouveaux titres de séjour temporaires pour les travailleurs des secteurs professionnels « en tension ». Nous avons recueilli les explications de deux opposantes à l’arrivée de la manifestation : Sylvie Tomic, adjointe au Maire de Lyon en charge de l’accueil, de l’hospitalité et du tourisme durable d’une part ; et Hélène, une volontaire du Réseau Education Sans Frontières d’autre part.

2. Les « Street medic », au cœur des manifestations contre la réforme des retraites.

Nous ne reviendrons pas sur le fond de la réforme des retraites, largement analysé par ailleurs, mais nous avons eu envie de nous interroger sur la forme des mobilisations populaires actuelles. Partout dans les rues de France se déploient toutes les semaines des manifestations massives. Presque tous les soirs, des manifestations sauvages contre l’utilisation de l’article 49.3 engendrent des heurts avec les forces de l’ordre et du vandalisme. L’issue des affrontements du 25 mars lors de la manifestation contre les « méga bassines » de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres eût été considérée comme une véritable tragédie il y a encore quelques années (deux manifestants entre la vie et la mort à l’issue de la manifestation). Pour mémoire, en 1986 la mort du jeune Malik Oussekine sous les coups de la brigade de voltigeurs entraînait la démission du ministre Devaquet, le retrait de son projet de loi et la dissolution de la dite brigade, aujourd’hui en quelque sorte re-formée sous le nom de « BRAV-M ». La violence semble désormais se banaliser. Le cercle vicieux de la colère et de la répression se déploie au gré des manifestations. L’intensité de la violence est fonction de la hauteur de l’enjeu, pour l’Etat comme pour les opposants. Qu’est-ce que ces faits nous disent de notre société, de notre démocratie ?

Dans ce contexte il semble intéressant de regarder de plus près ces nouvelles formes de manifestations que sont les black blocs. Ce reportage vous propose de vous y immerger en compagnie d’une de leurs composantes très spéciale : les « street medics ». Ce sont des volontaires qui, individuellement, prennent l’initiative d’être au cœur de l’action pour pouvoir porter les premiers secours aux personnes blessées dans les manifestations.

Nous allons d’abord rencontrer Maxime. Il est le président fondateur de « Street Medic 69 », une association qui fédère des volontaires pour aller porter les premiers secours au cœur des manifestations. Par ailleurs pompier volontaire, Maxime se dévoue à cette tâche depuis la mobilisation des gilets jaunes. Dans les cortèges, on reconnaît les street medics à leur tenue particulière, leurs casques et leurs sacs à dos pleins du nécessaire de soin. Ils sont à la fois manifestants et secouristes. Au-delà des premiers secours, ils font de la prévention, sécurisent et conseillent les manifestants les moins avertis. Au cœur des tensions qui animent aujourd’hui l’avant des manifestations, manifestants, journalistes ou parfois même policiers savent qu’ils peuvent compter sur eux. Ce qui ne les empêche pas de subir parfois eux aussi la répression.

Si les street medics sont nés dans les années 1960 avec le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, la dynamique se généralise seulement depuis quelques années en France comme ailleurs. Signe d’un besoin crucial de moyens de premier secours dans ces zones de tensions.

Après cet entretien avec Maxime, réalisé le lundi 27 mars, nous plongeons dans la manifestation du lendemain pour accompagner l’équipe de street medics sur le terrain…

 

Pour aller plus loin :

Un black bloc, c’est quoi et c’est le signe de quoi ?

Au-delà de la découverte de l’action des street medics, l’objet de ce reportage est aussi de prendre conscience de la réalité des « black blocs », souvent résumés à des entités abstraites qui seraient uniformément composées d’individus sauvages, désignés à la hâte et sans nuance comme des casseurs. La réalité est plus complexe et mérite d’être comprise si l’on veut avancer dans une analyse sociale pertinente.

Le black bloc n’est pas une organisation instituée, issue de quelque complot anarchiste.  Il n’y a pas d’organisation à proprement parler. Il s’agit d’un regroupement aléatoire d’individus ou de petits groupes (vêtus de noir et le visage masqué pour éviter d’être reconnus), parfois même opposés idéologiquement entre eux mais qui se retrouvent dans les manifestations derrière une cause commune et avec des stratégies d’actions relativement violentes. Composés principalement de personnes d’idéologie d’extrême gauche révolutionnaire, libertaire ou autonome, d’écologistes radicaux, de militant.e.s féministes ou LGBT, ou simplement de radicaux sans attache politique, les black blocs ciblent généralement des matériels ou bâtiments symboliques de l’Etat et du capitalisme : institutions, banques, publicités etc. Ceci étant entendu (cette définition étant aisément accessible ne serait-ce que sur Wikipédia ) se posent d’autres questions et s’imposent quelques nuances.

Pourquoi les black blocs se sont-ils développés en France ? Apparus dans le Berlin des années 80, puis de manière retentissante à Seattle en 1999 à l’occasion de la contestation altermondialiste d’un congrès de l’OMC, ils se sont d’abord généralisés dans les grands mouvements d’ampleur, en particulier lors de grands sommets mondiaux de type G20 ou OTAN. Leur apparition généralisée dans les manifestations des grandes villes de France est récente. Nous les retrouvons désormais au devant des cortèges syndicaux, défiant les forces de l’ordre.

Mais dans la réalité, le « bloc » n’est pas composé que de ces seuls activistes aguerris à l’action. De nombreuses personnes rejoignent l’avant des manifestations et le renforcent pacifiquement, ne se retrouvant plus forcément en accord avec les syndicats désormais relégués au second plan du cortège.  Il y a donc aussi un avant et un arrière du bloc. De fait, par sa présence, cette foule pacifique protège les activistes mais se retrouve aussi très souvent prise dans les nasses mises en place par les forces de l’ordre pour juguler les actions des black blocs.

On trouve à l’avant des jeunes de plus en plus nombreux. Tous ne sont pas des casseurs. De nombreux étudiants, lycéens qui sont manifestement tout l’opposé de dangereux criminels. La plupart d’entre eux ne casse rien, ils chantent et expriment leur colère, leur désir urgent de changement. Dans les zones de friction, certains jettent des objets de loin vers les cordons de CRS. Beaucoup sans doute oscillent entre pacifisme et désir de laisser la colère éclater. Mais on ne trouve pas que des jeunes dans cet avant du cortège, on peut y retrouver des militants « gilets jaunes » et bien d’autres personnes de tous âges, ni anarchistes, ni étudiants, ni gilets jaunes, mais simplement animés par une même colère, un même désespoir.

Ce qui paraît clair, c’est le processus de génération de la violence. Ils sont nombreux à témoigner dans le même sens que la jeune street medic dans le reportage : « la répression policière m’a vraiment énervée, explique-t-elle, voir autant de camarades blessés… j’avais vraiment envie de faire quelque chose, de pouvoir aider« . Chez les street medics, la colère se transforme en action positive : soigner, venir en aide aux personnes. Mais dans le cas général, c’est un cercle vicieux : l’intensité de la colère des manifestants engendre la peur des pouvoirs publics et par conséquent la violence de la répression qui génère à son tour l’intensification de celle de la contestation etc. Et les casseurs deviennent de plus en plus nombreux. Et les moyens de répression de plus en plus lourds. Ce mardi à Lyon, suite aux évènements du week-end à Sainte-Soline, on pouvait clairement entendre la rancœur dans les chants des manifestants.

Feu de poubelle à l’avant de la manifestation du 28 mars à Lyon. @TB

Pourquoi cette violence existe-t-elle aujourd’hui plus qu’hier ? Au point même de générer le besoin de secouristes spécifiques. Qu’est-ce qui génère le besoin de se révolter pour une partie de la population ?  Chez les jeunes en particulier, la question des retraites n’est probablement qu’une goutte d’eau, aussi grosse soit-elle, qui fait déborder le vase. Des jeunes déjà bien malmenés depuis quelques années et confrontés à l’inaction écologique des Etats qui hypothèque leurs vies et celles des générations suivantes. Même dans les manifestations contre la réforme des retraites, les références à l’écologie sont très nombreuses, dans les slogans et sur les panneaux brandis dans tout le cortège. Les raisons de la colère et de l’anxiété semblent nombreuses, et les jeunes ne sont pas les seuls à les exprimer.

Face à un contexte extrêmement anxiogène, la question de la santé mentale de l’ensemble de la population – mais désormais aussi des jeunes et des très jeunes – devient un enjeu social de première importance. Il est aisé de faire le lien entre ce constat plus qu’inquiétant et l’expression d’une colère de plus en plus massive par une partie de la population en quête d’espoir et d’avenir.

TB

Liens :

L’association Street Medic 69

Le Blog du collectif UCIJ (Uni.es contre l’immigration jetable)

Les musiques de l’émission :

  • Rachid Taha et Carte de Séjour : Douce France
  • Dub Incorporation : Tout ce qu’ils veulent
  • Fat Boy Slim ft Greta Thumberg : Right here, right now
  • Pink Floyd : Another Brick in the Wall

Diffusions le 31 mars à 9h et le 1er avril à 13h

Animation, reportages, réalisation : Thierry Borde

Mise en ondes : Laurent Forcheron

Information Thierry Borde

Regarder

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