vendredi 3 mai 2024

« Je suis au bord du gouffre », l’enfer de la solidarité sociale

Les violences faites aux femmes ne sont pas seulement physiques et psychologiques, il arrive qu’elles soient aussi économiques. Chaque année, de nombreuses personnes sont poursuivies pour des dettes d’impôts contractées par leur ex-conjoint. C’est ce qu’on appelle la solidarité fiscale.

« Très souvent quand je me présente, je dis que je suis morte économiquement et quasiment morte socialement, que je ne le suis pas encore biologiquement, mais que ça pourrait se produire. » Gabrielle (*) a 62 ans, elle se bat depuis 14 ans contre l’administration fiscale qui lui demande de recouvrir une dette qu’elle n’a pas contractée.

Mariés ou pacsés, les couples deviennent solidaires du paiement de l’impôt et des éventuelles dettes fiscales apparues durant l’union malgré un régime de séparation des biens : c’est le principe de solidarité fiscale. La séparation ne met pas un terme à cette solidarité fiscale si les impayés remontent à la période conjugale. Ce principe permet à l’administration de demander son dû, pénalités comprises, à l’un ou l’autre des ex-partenaires même si la personne sollicitée – le plus souvent l’ex-conjointe – est totalement étrangère à la fraude.

Un dispositif de « décharge en responsabilité solidaire » a été instauré en 2008. Or, il est uniquement destiné à des personnes en situation de grande précarité. On dénombre 60% de demandes rejetées en 2023. Gabrielle est fonctionnaire territoriale, son salaire s’élève à 3 200 €, elle s’est donc vue refuser sa demande de décharge. A cause de sa situation salariale qui peut paraître confortable en temps normal, elle n’a pas accès à une aide juridictionnelle, son revenu étant trop élevé. En parallèle, deux tiers de son salaire sont ponctionnés chaque mois. Cet hiver, c’est son voisin qui l’a hébergée, faute de pouvoir se chauffer. « On m’a fait perdre totalement le contrôle de ma vie » témoigne-t-elle.

En ce début d’année, une proposition de loi a été examinée à l’Assemblée Nationale puis au Sénat. « Je ne comprends pas comment la République a laissé une telle situation perdurer » déplore Gabrielle. La prochaine étape est la Commission Mixte Paritaire le 14 mai prochain. Elle devra déterminer si les amendements ajoutés au Sénat, seront conservés ou non dans le texte de loi définitif. Parmi ces ajouts : un dispositif légal ouvrant le droit à la décharge de manière plus automatique aux ex-femmes innocentes, ainsi que trois autres mesures permettant de renforcer leur autonomie financière.

Dans cette interview Gabrielle revient sur sa descente aux enfers, et sur l’ignorance du sujet des violences économiques et de la solidarité fiscale.

(*) Ce prénom a été modifié

 

Lucie Queyron

Information Lucie Queyron

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